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Par Mouloud Achour

Clique x Siyakha Traoré #ZyedEtBouna

C’est à Clichy-Montfermeil que nous avons rencontré Siyakha Traoré, le grand frère de Bouna.

Bouna Traoré et son ami Zyed Benna sont morts le 27 octobre 2005, électrocutés alors qu’ils tentaient d’échapper à un contrôle de police. S’en sont suivies trois semaines d’émeutes. Lundi 18 mai, 10 ans plus tard, le jugement a été rendu. Les deux policiers accusés de non-assistance à personne en danger ont été relaxés, définitivement. Siyakha Traoré nous fait part de son choc, à l’annonce du verdict :

« J’étais choqué, surpris, abasourdi même » (…) Ce n’était pas facile, ça nous a fait tout drôle. « On avait une petite lueur d’espoir. On s’était dit : on peut. Et quand tu es avec cette lueur d’espoir le jour du délibéré et qu’on t’annonce la relaxe, tu tombes de haut ».

Il poursuit : « On fait avec malgré ça, le combat continue ».

« De quel combat tu parles ? » lui demande Mouloud. « Le combat contre l’injustice », répond-il.

« Cette injustice je la perçois comme une menace. Et si on se sent menacé, on se doit de se défendre ».

Mouloud : « Une menace, contre qui ? »

« Contre nous… Les Noirs et les Arabes, les quartiers populaires »… et plus généralement, « une menace contre les justiciables. Quand tu es face à la police qui est pour moi injusticiable, il y a de quoi s’interroger ».

Mouloud : « Est-ce que vous vous y étiez préparés ? »

« Personnellement je m’y étais préparé ». (…) « Après, lorsque ça fait 10 ans que tu attends ce procès et qu’on t’annonce une relaxe… »

Pour Siyakha, la justice a manqué de considération envers les familles des victimes :

« À ce que je sache, on est des êtres humains. Je ne sais pas si ces personnes-là ont un coeur (…).

« Ils ont tendance à nous confondre avec des animaux, mais même si j’en étais un, je ne les laisserais jamais être mon dompteur ou mon maître ».

Il ajoute :

« Aller jusqu’au bout, pour nous, c’est un devoir. Pour leur rendre hommage et faire notre deuil par la suite, et pour montrer à la génération qui arrive qu’il ne faut jamais baisser les bras ».

Mouloud : « On a l’impression que la deuxième, troisième question qui revenait dans la bouche des journalistes, après le procès c’était : est-ce que ça va repéter ? » Ce à quoi Siyakha répond :

« Je ne souhaite pas que ça redémarre, qu’il y ait des révoltes. Pas du tout, moi je suis là pour l’apaisement ».

« Ça ne va pas nous aider. On se doit d’être exemplaire, et quoiqu’on fasse, ils ne vont pas revenir ».

« On est de confession musulmane, et puis voilà : quand on a une certaine foi, on se doit de passer au-dessus de tout ça ».

Mouloud souligne que lors de leur première rencontre, il y a dix ans, Siyakha Traoré tenait déjà le même discours. À l’époque, il avait dit : « Si vous voulez manifester pour nous soutenir, faites-le dans le calme et dans le silence ». Siyakha :

« On est pacifistes. Tu sais, c’est facile de venir et de tout casser. Mais à quoi bon ?  »

« Après, je sais très bien que c’était un ras-le-bol, on avait besoin de se faire entendre. Mais à partir du moment où ils ont décrété l’état d’urgence, je pense qu’on a été entendus ». « Quand tu suis le délibéré, on n’a pas été écoutés par contre ».

À l’époque, c’est lui qui a dû descendre dans la rue pour calmer et en consoler certains. Sans jamais craquer :

« Si j’avais craqué, je serais déjà dans un fait divers. On ne peut pas se faire justice soi-même ».

Il souligne le rôle des politiques ainsi que des médias.

« Certains cherchent un profit à travers ce drame-là »

« Lorsque le lendemain du drame, on apprend qu’ils sont des délinquants et qu’ils n’on pas été poursuivis… C’est là qu’on s’est dit que ça allait être dur. C’est là que j’ai réalisé le poids du monde des médias, de la communication surtout ».

Mouloud : « Pourquoi pendant les émeutes, personne ne disait que c’étaient des Français avant tout qui descendaient dans les rues ? ».

« Français, c’est au petit bonheur la chance. Tu es arrangeant, on va t’appeler ‘Français’. Tu es dérangeant, c’est soit Noir soit Arabe ».

Mouloud : « Une question qui n’a jamais été posée auparavant :

Ton petit frère, c’était qui ?

Siyakha : « Il portait le nom de mon grand-père. Je t’en parle avec le sourire parce que c’était quelqu’un qui nous ramenait la gaîté, la joie »

« Si j’avais les clés, que je rentrais chez moi et que j’entendais des rires, c’était qu’il était à la maison ».

« C’était un grand sportif, il aimait beaucoup le foot. Il était assez coquet, beau gosse tout ça, c’était une mascotte. Il était apprécié de tout le monde, c’était le chouchou de tout le monde. Il était toujours souriant. C’était mon petit frère, c’était un ange. Ce n’est pas tout ce qu’on a pu entendre ».

Mouloud : « On parle beaucoup de la haine, quand il y a eu la révolte. On ne parle pas beaucoup de l’amour qu’il y a dans ces quartiers »…

« Dans ces quartiers, il y a de l’amour. Il y a une grande solidarité » (…) « Le fait de vivre cette solidarité fait que je suis fier d’être issu d’un quartier ».

« En tant qu’habitant de Clichy, avant qu’il y ait ce drame-là, il y avait déjà une solidarité », ajoute-t-il. « Sur ton palier, avec les voisins, les gens que tu fréquentes… Quand c’est arrivé, elle est devenue encore plus forte ».

« Cette solidarité-là, c’est ce qui me forge. Je tiens à remercier tout le monde »

Mouloud lui demande alors ce qu’il espérait du jugement.

« On espérait qu’il y ait une condamnation. Je voulais juste entendre le mot « condamné ». Je n’aurais pas fait un boucan. Je serais sorti dans le calme, et j’aurais dit : ‘enfin’. Mais ‘condamné’, c’est un grand mot face à la police. »

« C’était le procès de deux agents de police, des fonctionnaires, pas celui de la police. Mais bon. C’est là que tu vois qui est justiciable et qui ne l’est pas ».

« Toutes les personnes qui étaient dans la salle étaient affectées. Tout le monde était choqué, s’est dit « Ce que les médias nous ont relayé, c’était carrément pas ça ». Ça trompe tout le monde. J’aurais tellement aimé prendre tout le monde, toute la Terre, les faire assister à ce procès-là… Qu’ils puissent voir comment ça s’est vraiment déroulé ».

Mouloud : « On sait que la phrase « Je ne donne pas cher de leur peau » a été prononcée… » Siyakha :

« Va porter secours avant de prononcer ce genre de phrase. Tu prononces une phrase comme ça, t’es pas humain. Même le plus mauvais se doit de porter secours. Sauf que là c’était la police ».

Mouloud lui demande alors comment il réagit face au slogan « Pas de justice, pas de paix ». Siyakha exprime sa lassitude face à une justice trop partiale :

« On veut y croire à cette justice, mais c’est dur ».

À propos de l’avocat des familles, qui a parlé d' »apartheid judiciaire », il précise :

« C’est ce que l’on vit, il ne faut pas se voiler la face. Il y a une justice à deux vitesses, qui a une couleur ».

« La balance ne doit pas pencher à gauche ou à droite, et le problème est là. L’impartialité, je la vois pas ».

Et maintenant ?

« On va faire appel. Tant que je suis là, qu’on est là, le combat continue. La relaxe, ça nous a mis une claque. Mais lorsqu’un combat continue, c’est jusqu’au dernier souffle ».

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