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Société
Par Laura Aronica

Twenty, un média pour les 16-25 ans, par les 16-25 ans

"On ne cesse de parler des millennials et pourtant on ne leur parle pas". C'est pour faire mentir cette affirmation qu'est née Twenty, une plateforme digitale élaborée par des 16-25 ans et destinée à tout ceux qui s'y intéressent. Rencontre avec Nadège Winter, co-fondatrice de ce projet bicéphale, composé d'un magazine et d'un réseau social.

Clique : Twenty, en anglais, cela signifie « 20 ». Quel est l’ADN de ton projet ?
Nadège Winter : On est une plateforme digitale dédiée aux 16-25 ans. C’est à la fois un magazine qui raconte le monde à travers leurs yeux et un réseau, une sorte de Facebook ou LinkedIn de cette génération, qui leur permet de se connecter entre eux pour lancer des projets, et qui permet aux marques, aux institutions ou autres de recruter du talent, d’avoir une vitrine où ils peuvent aller chercher de l’énergie de cet âge-là.

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On est en train de fabriquer un bébé à deux têtes, un network et un magazine. Ce projet pose une question : « C’est quoi avoir 20 ans aujourd’hui ? ». Est-ce qu’on pourra y répondre, je n’en sais rien. En tout cas, j’interroge.

Qu’est-ce qui t’a poussée à lancer Twenty ?
J’ai 40 ans, même un petit peu plus. Ma propre histoire professionnelle fait écho au projet : j’ai fabriqué mon métier toute seule et je scrute ceux qui ont du talent, ceux qui feront demain.

Cette génération, c’est celle à qui on dit : « à bac +12 tu n’y arriveras pas, à bac -12 tu n’y arriveras pas non plus ». Il faut lui montrer que le monde n’est pas si noir.

Il y a un enjeu d’héritage, de transmission. Les aînés, dont je fais maintenant partie, doivent accompagner les plus jeunes. J’en ai assez d’entendre raconter que c’est une génération débile et égocentrée, qui vit dans l’immédiat, ne sait rien faire d’autre que Snapchat. Oui, ça fait partie du package, mais il n’y a pas que ça ! Sur ma route, j’ai rencontré mon associée, Delphine de Canecaude, qui partage exactement les mêmes valeurs.

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Delphine de Canecaude et Nadège Winter (à droite).

Si Twenty naît aujoud’hui dans la tête d’une nénette de 40 balais et de son associée qui a le même âge, c’est parce que nous sommes capables de nous dire : « La relève ne va pas me piquer ma place ». Elle arrive, j’ai besoin d’elle autant qu’elle a besoin de moi, mais je suis bien consciente que c’est d’elle que vient l’énergie.

C’est donc un média pour les jeunes, par les jeunes. Mais lesquels ?
N’importe qui peut proposer sa contribution. Ceux qui ont envie de raconter quelque chose doivent trouver leur place avec nous. L’enjeu, c’est la volonté d’apporte quelque chose de qualité. Les contributions viennent d’eux. A partir de 15 ans, ils sont capables de sortir du flou artistique et de devenir plus précis dans leurs choix.

Évidemment, entre 15 et 25 ans on change beaucoup, mais le dénominateur commun du « Twenty », c’est la curiosité.

Le « 22 ans » qui se laisse aller, c’est un Twenty au sens qu’il fait partie de la population de cet âge-là, mais il ne sera pas de ceux qui font le magazine. Moi je cherche l’éveil, la curiosité, l’envie de raconter des choses, même de façon maladroite. Twenty est ouvert à tous – pourvu qu’il y ait de l’envie, de l’énergie et du talent.

Les trois premiers articles que j’ai lus viennent d’enfants d’écrivains ou de grands noms de l’industrie musicale. J’en déduis que c’est structurel, parce que tu as commencé avec tes réseaux très parisiens – et donc appelé à évoluer ?
Exactement. Quand tu fais bosser un gamin qui a 17-18 ans, lorsqu’il est tout vierge dans sa capacité à écrire, ça demande un énorme boulot de correction. Les premiers arrivés sont donc ceux qui ont déjà écrit des bouquins, déjà monté des blogs. Ce sont aussi ceux qui n’étaient pas loin de ma fenêtre quand j’ai fait monter l’info.

Mais je ne veux pas raconter l’histoire des enfants bien nés de mes réseaux.

Je veux un projet qui parle à tous, du gamin paumé au fin fond de Roubaix à celui des beaux quartiers, pas forcément celui qui est fan de sneakers. Il peut être engagé dans le combat pour l’écologie ou en politique, ou complètement littéraire sans jamais avoir osé tenir un crayon. Des jeunes comme ça, on en a déjà. Ils sont venus nous voir de Bretagne, de Dijon…

Quid de la ligne éditoriale du magazine ? Il y a un très joli côté RookieMag (le must du magazine en ligne destiné aux « teens », créé par Tavi Gevinson aux États-Unis, NDLR), avec des illustrations sous forme de collages, des tutos. 
C’est une inspiration parmi d’autres, mais on vise bien plus large, on est bien moins girly. Notre ligne éditoriale est composée de grignotages faciles, rigolos, d’un regard pop sur l’actualité, mais aussi des sujet longs sur le féminisme, l’engagement politique… C’est une sorte de cadavre exquis aux rubriques qui évoluent : la joie du digital ! Il y a aussi des tutos, ou des conseils pour ceux qui cherchent un premier stage par exemple. C’est le côté plus pragmatique du projet, la volonté d’apporter des réponses concrètes aux questionnements.

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La candidate à l’élection présidentielle américaine Hillary Clinton répond aux questions des jeunes lecteurs et lectrices de Rookie Magazine, pour son numéro de novembre 2016.

Ce que je veux préserver, c’est l’honnêteté, la singularité de la parole. Il y a une équipe éditoriale qui n’a pas de limites, tu peux avoir des gamins qui écrivent un  seul papier et d’autres qui peuvent en écrire mille. Ça vient, ça part, ce n’est pas grave. Ceux qui viennent à nous n’ont pas fait d’école de journalisme, ils n’ont jamais rien fait de leur vie, et en même temps ils ont une envie donc on les accompagne.

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« Le Tuto de ma mère », à lire sur Twenty Magazine.

Je ne veux pas d’un média classique. On a recruté deux rédacteurs en chef seniors parce qu’il faut bien un cadre, faire tomber une sorte de chemin de fer. On travaille les angles et les papiers pour les affûter, mais les idées et les écrits doivent rester très libres. On veut scanner une génération, pas lui imposer quelque chose.

À propos de « génération », c’est un terme à la mode : les couvertures des magazines sur les générations X, Y, Z se multiplient. Quant à « Millenials », qui désigne les jeunes nés autour des années 2000, c’est une source infinie de débats. Est-ce que cela reste un terme pertinent ?
La génération dont je parle, c’est une génération au sens de portion d’âge, ce sont des jeunes déjà sortis de la préadolescence et à l’aube de leur vie d’adulte.

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Le sexe, c’était mieux avant ?, par Carmen Bramly, 21 ans et romancière, pour Twenty Mag.

Millenials, génération Z… On s’en fout, des termes marketing. Ce qui me touche, c’est cette idée de relève. Qui sont ceux qui fabriquent demain ? Où sont-ils ? Qu’est-ce qu’ils veulent, comment ils fonctionnent ? Comment notre société doit s’y adapter et réagir ?

Cette relève, on a besoin de l’avoir à nos côtés pour ne pas continuer à fabriquer les mêmes mécaniques, nous qui avons un pouvoir économique et politique plus affirmé… pour le moment.

Évidemment, il y a une réalité de business. J’ai fabriqué avec ma partenaire un objet qui peut se vendre, marketable, concret. Mais il repose – et pour moi c’est primordial – sur une impulsion qui est presque un cri du cœur. Ça a l’air utopique, mais c’est la façon dont je fabrique tous mes projets depuis toujours : j’essaie d’allier l’utile au business.

Tu as créé un système de « Talks ». Pourquoi allier des rencontres physiques à votre projet 100% digital ?
Les « Talks » ce sont de petites conférences où je rencontre les jeunes et où ils discutent entre eux. Le prochain aura lieu samedi à Paris, au Palais de Tokyo. Comme je suis une vieille, ça appartient à mon système de production et de fabrication ! Vous êtes nés la tronche dans le digital (l’intervieweur est née dans les années 90), à 360 degrés dans un monde d’image, d’information. Quand j’avais 20 ans, moi, il n’y avait que le fax, pas de téléphones portables. Avec ces « Talks », j’ai réalisé que j’avais en face de moi des 16-25 ans en soif d’une relation aux autres plus humaine et concrète. Sortis de là, ils s’échangent leurs numéros de téléphone, se revoient… Ça renforce le sentiment de faire partie, au-delà d’un média, à une communauté qui repose sur des valeurs.

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Un « Talk » Twenty, ici au Consulat, à Paris.

Comment le média est-il financé ?
Pour l’instant, c’est autoproduit : l’argent vient des poches de Delphine et des miennes. Quant à la publicité classique d’annonceurs sur le magazine, je n’en voulais pas au début, mais j’ai sondé les Twentys qui sont complètement tranquilles avec ça. Sur la partie éditoriale, on est hyper transparentes avec les gamins : pour l’instant, on ne les paie pas. On considère qu’on leur offre une plateforme d’exposition et d’expression, ainsi que des outils pour les aider. C’est donnant-donnant.

Après, il y a toute la perspective – qu’on est en train de mettre en place – de relation avec les marques, pour qu’elles deviennent partenaires, sponsors ou mécènes. Ou bien qu’elles réfléchissent à un outil spécifique qui ne soit pas intégré au projet mais monté par des Twentys, qui seront alors payés comme une agence. Ils ont une capacité assez folle à faire les choses et nous, on est tous les jours face à des marques qui sont perdues. Ils ont envie de travailler, de développer du brand content, du worskhop, des points de vue qui leur appartiennent… Ils peuvent offrir des réponses.


Hamza avec « Jamais trop jeune », « 15 again » de Cassius… Renaud côtoie Nas et Tyler, The Creator dans la playlist « Twenty » de Léa, 19 ans, étudiante en lettres.

Donc l’idée, ce n’est pas de faire un petit réservoir de jeunes qui ont de bonnes idées pour les marques, et qui bossent gratuitement parce que c’est cool ? On sent que c’est loin d’être ton propos, mais de l’extérieur, ça peut aussi être pris comme ça.
Oui, sauf que le Twenty, je ne l’exploite pas en piquant ses idées. Le côté brand content sera payé. De toute façon, il faut agir : il y a une fracture entre les aînés qui flippent de perdre leur place et les jeunes, et il y a un talent immense qui se perd dans tout ça. Ajoute à ça les marques, qui se demandent comment interagir avec leurs futurs consommateurs. J’ai envie de leur dire « parlez-leur directement » ; donc je monte une sorte de réseau d’énergies capable de le faire, et surtout d’être rémunéré pour ça.

Twenty, c’est aussi une solution potentielle pour ceux qui n’ont pas la flamme de l’entrepreneuriat et de la réussite, qui ne font pas partie de ceux qui cumulent déjà quatre emplois à succès à 19 ans. Pour ceux qui vont à leur rythme, qui ont besoin de modèles ou d’un cadre d’études plus fort, c’est un peu dur en ce moment. Je ne parle pas de ceux qui font de grandes écoles, mais de ces jeunes qui sont dans un entre-deux, tout en étant très éveillés. Quand tu es dans ce cas, tu te dis : « Wouuhh il va falloir que je m’accroche à un wagon parce qu’à un moment donné, on ne va pas m’attendre ». Nous, on voudrait les accompagner.

www.twentymagazine.fr
Le prochain Talk de Twenty aura lieu demain, samedi 5 novembre, au Palais de Tokyo à Paris. Gratuit et ouvert à tous sur réservation : talk@twentymagazine.fr

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