Oops! Aucun résultat

Clique x Majid Jordan

Le 5 février dernier, le duo canadien, protégé de Drake, sortait son dernier album éponyme « Majid Jordan ». On y retrouve notamment le titre Dreezy, seule collaboration présente sur l’album de Majid Al Maskati et Jordan Ullman.

Après leur rencontre en 2011, ils composent leurs premiers titres entre la chambre étudiante de Jordan et le sous-sol des parents de Majid. Très vite, le duo publie son premier EP « Afterhours » sur Soundclound sous le pseudonyme « Good People ».

C’est en 2013 que Majid et Jordan, repérés par Drake, participent au titre « Hold On, We’re Going Home » sur l’album « Nothing Was The Same ». La même année, ils co-produisent avec Drake le morceau « Mine » de Beyoncé. En 2014, ils sortent leur premier single sous le nom de Majid Jordan, puis l’EP « A Place Like This » sur le label OVO, fondé par Drake, Oliver El-Khabib et Shebib.

Clique a rencontré Majid Jordan dans un studio de musique à Toronto. L’occasion de revenir sur leurs débuts, leur travail avec Drake, et leurs influences musicales…

Mouloud : Salut les gars !

Majid Jordan : Salut.

Mouloud : Merci de m’accueillir à Toronto.

Majid Jordan : De rien. Avec plaisir.

Mouloud : Merci. Majid Jordan… En fait, c’est Majid et Jordan ?

Majid Jordan : Oui. Ce n’est pas Magic Johnson et Michael Jordan. Non ! Et c’est pas non plus un mec qui s’appelle Majid Jordan.

Non. Moi c’est Majid, lui, c’est Jordan. On est Majid Jordan. Magic Johnson et Michael Jordan sont des basketteurs extraordinaires, on les aime beaucoup. Avec un peu de chance on va les croiser au « All Star Weekend ».

Il y a le « All Star Weekend » cette semaine.

Mouloud : Mais j’ai aussi l’impression qu’il y a un principe d’équité entre vous, ce qui n’est pas forcément le cas dans toutes les maisons de disques. Il n’y a pas la grande star et les autres artistes, on a l’impression que vous pouvez communiquer entre vous. Comme quand Drake vous a signés, vous avez directement été propulsés au devant de la scène.

Majid Jordan : C’était un honneur pour nous de travailler avec Drake, il nous a beaucoup appris avec ce morceau. On a pu voir la façon dont plusieurs éléments peuvent se transformer en idée, puis en morceau. Quand on travaillait sur le morceau, c’était juste une idée de base. Mais quand Drake l’a écouté et a commencé à écrire dessus, c’est devenu le morceau que vous connaissez.

En fait, je pense que cette équité vient du transfert du savoir. Et si on ne s’accroche pas à ce savoir, on se sent désavantagé parce qu’on n’en sait pas autant. Tout est question de partage des informations, en fait.

Mouloud : Et racontez-moi le fameux épisode de l’enregistrement de l’album de Drake, les gens dormaient dans des tentes, il paraît.

Majid Jordan : On ne voulait pas quitter le studio ! En arrivant, on était comme des fous.

Pour la petite histoire…

Mouloud : Vas-y raconte !

Majid Jordan : C’est « 40 » qui dormait dans une tente ! Y’a des gens qui font ça jour et nuit…

C’est cette éthique du travail, ils se disent « Je peux pas quitter le studio, je veux pas quitter le studio, je veux faire autant de musique que possible, au meilleur niveau possible ». Ce n’est pas comme si on nous imposait de rester, on veut vraiment rester, donc on ramène tout ce qu’on peut pour ne pas repartir. On était tous à fond dans le projet, c’était trop cool !

Même pour nous, on a rencontré pas mal de monde à la fois, et ils ont tous la même vision du boulot. Ils sont hyper concentrés.

C’est ce que je disais sur la Motown et Berry Gordy, ils étaient concentrés sur la musique…

Mouloud : C’est pareil chez OVO ?

Majid Jordan : Oui, y’a une vraie cohésion, les gens restent sur place, surtout Majid et moi… Je suis le genre de mecs à se lever à 7h du mat’ deux semaines de suite…

Oui, et à rester éveillé jusqu’à 10 h le lendemain. C’est comme ça qu’on vit.

À cette époque, le studio était à une demie heure, donc je dormais sur le canapé parce que je ne voulais pas rentrer. C’était une opportunité que j’avais attendu toute ma vie, d’être dans ce studio… Pourquoi rentrer ?

Et on en apprenait toujours un peu plus, donc en partant on allait forcément louper des trucs.

Si tu loupes deux minutes d’une conversation entre Drake et 40 où ils expliquent le sens d’un truc, ou comment ça fonctionne…Ça peut changer toute ta perspective.

Oui, tu comprends ce qu’il recherche, tu sais ce que tu peux lui proposer, et tu sais comment améliorer ta propre musique. En fait, c’était vraiment un apprentissage.

En y repensant, c’était l’un des meilleurs moments de notre vie. On faisait du son toute la nuit et on rentrait au lever du jour, jusqu’à obtenir les démos qu’on préparait.

Mouloud : Un soir, vous avez fait un son, et Drake est reparti en voiture avec le son, vous pouvez m’en parler ?

Majid Jordan : C’était juste un extrait du morceau, c’était un aperçu de ce que « Just Hold On We’re Going Home » allait donner, et on savait pas vraiment ce qu’on allait en faire à ce stade, y’avait pas encore de refrain et c’était pas très structuré, mais on lui a quand-même donné et il est parti. En revenant, le lendemain, on l’avait amélioré, c’était différent, c’était mieux, et Drake nous a dit « Vous avez fait ça en une nuit ? En vous basant sur une idée de base ? C’est dingue ! »

Mouloud : Quand vous l’avez écouté la première fois, vous vous doutiez qu’il allait avoir autant de succès ?

Majid Jordan : Non, pas vraiment. Déjà qu’on était surpris d’avoir été contacté pour bosser sur ce projet… Et honnêtement, comme il l’a dit, je ne pense pas qu’il y ait une équation pour faire du son. On peut se trouver n’importe où, à n’importe quel moment. Même pour notre projet, y’a un de nos sons, « There’s Something About You » qu’on a écrit à dans une chambre à Los Angeles avec une bande de gens qui nous balançaient des idées qui ont menées à ce son. Et c’est impressionnant comme on retrouve cette conversation à travers la mélodie, les mots, les voix et les instruments. On s’est retrouvé là par hasard, parce qu’on bossait tous là à ce moment-là. Et toutes ces idées réunies, ça a donné un super morceau. Chacun d’entre nous a eu un rôle déterminant.

Mouloud : C’est le même esprit chez OVO, non ? Quand on écoute un artiste signé chez OVO Sound, on le reconnaît toujours, même quand il s’agit d’artistes complètement différents avec un son qui n’a rien à voir. C’est la même façon de faire de la musique, ici ?

Majid Jordan : Non, je pense pas qu’il y ait vraiment une équation mais je pense qu’on a tous le même état d’esprit, on est sur la même longueur d’ondes en ce qui concerne ce qu’on veut faire de notre musique, c’est-à-dire livrer un message au public.

Mouloud : C’est fou parce que votre premier nom était « Good People », et la devise d’OVO Sound est d’être des gens biens. Je pense que c’est un peu la mentalité de ce groupe.

Majid Jordan : Oui, c’est un peu comme ça que le nom nous est venu à l’esprit, c’était un clin d’oeil à sa famille parce qu’on venait de finir notre mixtape dans son sous-sol. J’ai appelé mes parents qui m’ont demandé si je rentrais bientôt et je leur ai répondu que je venais de rencontrer ce type qui s’appelle Jordan, ils m’ont demandé qui c’était donc j’ai commencé à parler de lui, j’ai dit que j’étais chez ses parents, de ne pas s’inquiéter, qu’ils s’occupaient bien de moi, et que c’étaient des gens bien, des « Good People ». Ils avaient cette facilité à accueillir et à mettre à l’aise, et c’est de là que le nom nous est venu.

Mouloud : J’ai un peu le sentiment que la dominante dans l’album, c’est l’amour.

Majid Jordan : Oui, complètement.

C’est un peu l’idée de trouver l’amour sain, la bonne façon d’aimer. Parce que quand on écoute un son avec Drake comme « My Love », quand on entend la question « Suis-je un trophée ? »

Cette phrase vient de Drake, en fait.

Il a écrit le morceau en pensant à nous et, en gros, il s’est posé la question de l’authenticité de cet amour/« est-ce que cet amour est véritable  ? ». Et je m’identifie carrément à cette idée, c’est aussi pour ça qu’on a pu facilement collaborer avec lui sur ce morceau. Ça parle de cette inquiétude de savoir si oui ou non les intentions de la personne sont bonnes.

[…]

Mouloud : Vous pensez que c’est possible de récupérer une personne qui vous a quitté avec une chanson ?

Majid Jordan : Je sais pas. Elle est trop bizarre ta question. J’espère que les gens en ont la capacité s’ils le souhaitent.

Ce serait la chanson idéale à composer.

Mouloud : « Tu m’aimais, mais c’est plus le cas… J’ai écrit une chanson, j’espère que tu vas m’aimer à nouveau ».

Majid Jordan : C’est drôle.

Mouloud : Vous êtes fragiles ?

Majid Jordan : Fragile ?

Mouloud : Oui.

Majid Jordan : Je pense que tout le monde est fragile. Personne n’est immortel. Donc on est tous en proie au danger.

Mouloud : Je voulais dire sentimentalement…

Majid Jordan : En tant qu’artistes. Je pense qu’il faut être un peu fragile pour écrire ce que vous écrivez. Pour écrire ce que vous écrivez, et chanter ce que vous chantez, je pense qu’il faut être un peu fragile. Et même dans votre musique, il y a beaucoup d’émotions.

En fait, il est question de s’ouvrir au point où certains voient une fragilité et d’autres une force, en fonction de leur interprétation des mots et du message. Donc voilà, pour moi, c’est ça

Mouloud : Même dans vos clips, vous ne montrez jamais les mêmes filles que dans les autres clips. Vous ne leur associez pas une image de salope. Vous les traitez comme des femmes.

Majid Jordan : Je l’espère. Parce que quoi qu’on en pense, les femmes sont des femmes. On ne peut pas leur coller une étiquette.

Et le simple fait de leur coller une étiquette, ça créerait un décalage entre le visuel et la musique. Et c’est tout simplement forcer quelque chose, forcer un contact.

Mouloud : Vous êtes un peu old school, comme les clips porno-chic. Vous restez old school, un peu genre « Rien a foutre de vous, de vos chiennes et de vos dents en or ! ». Je veux voir des filles biens comme dans les clips de Majid Jordan.

Majid Jordan : J’enlève mes grills/dents en or avant de monter sur scène. Ouais, on enlève tout. On a une boîte avec tous nos trucs à l’arrière de la voiture.

Mouloud : C’est un peu comme si vous vous disiez « Ok, on redescend sur Terre ».

Majid Jordan : Dans nos clips ?

Mouloud : Ouais. Même si vous avez des effets spéciaux, du design et des artistes avec qui vous collaborez… y’a comme un truc qui dit « Ok, on revient à la réalité ».

Majid Jordan : Oui, j’ai un peu l’impression que les gens ont oublié à quel point être soi-même est original.

Mouloud : Il y a quelque chose de nouveau dans votre philosophie parce que la plupart des artistes R&B hommes sont très « égocentriques » et quand ils parlent d’amour il disent « Je vais te rendre folle/Je vais te faire du bien »

Majid Jordan : Et c’est un peu ce que propose Internet aussi, cette facilité à dire ces choses à des personnes qu’on connait pas. Pour moi, c’est ridicule, mais ça vise un certain type d’artistes R&B. Nous, on essaye de faire du R&B sur l’amour, comme la Motown. On parle de ce qu’on ressent.

Mouloud : La différence avec vous, c’est que Majid Jordan ne dit pas « Je vais te rendre folle/Je vais te faire du bien » mais plutôt « Je veux être heureux et amoureux ».

Majid Jordan : On préfère écrire dans un style différent. On a tous écouté des sons où le gars dit « Je vais te rendre folle/Je vais te faire du bien » en se disant « Ouais, je kiffe grave ! », t’es au bar, t’es dans l’ambiance… La musique n’est pas là pour rien, beaucoup de gens peuvent s’y identifier.

Mais je pense que la Motown a été une très grande source d’inspiration pour nous.

Mouloud : Dites-moi si je me trompe, mais Marvin Gaye en faisait partie ?

Majid Jordan : Oui, on adore Marvin Gaye.

Oui, carrément. J’aime sa façon de chanter, j’aime ses morceaux… Même Jamiroquaï, et les nouveaux du même genre, son écriture n’est pas très Motown, c’est plutôt Funk, mais son message est ouvert et amusant.

Et ce que j’aime beaucoup à propos de la Motown, c’est la façon dont ils produisaient les sons. Ils laissaient le temps aux gens sur la piste de trouver un(e) partenaire, le début était juste instrumental. C’était magique cette époque où il fallait aller se trouver une cavalière au moment où t’entendais le début d’un nouveau son, on prenait le temps de lui demander, et ensuite on dansait. C’est ça, les sons d’amour.

Mouloud : Quand vous parlez de la Motown, c’est quoi le premier son qui vous vient en tête ?

MJ : J’ai l’impression que notre façon d’écouter la musique et même de mixer… est souvent influencée par ne serait-ce que 15 secondes d’écoute d’un morceau, et pas forcément par le morceau entier. C’est comme ça que je me sers de mes multiples influences.

Même avec D-Train et Change, ce n’est pas vraiment de la musique Motown, mais on en ressent vraiment l’influence. Au final, c’est comme la suite d’un long voyage en fonction de la technologie et de l’ingénierie du son à l’instant présent… et de la production aussi. C’est comme une courbe de progression.

Mouloud : Y’en a un dans votre album avec « Small Talk », pour moi, c’est le meilleur morceau de votre album.

MJ : Merci.

Mouloud : Quand vous l’avez enregistré en studio, vous vous êtes dit on va sortir un ou deux sons et ensuite on balance la sauce, ou vous avez laissé le choix aux gens ?

MJ : On avait une routine qui consistait à sortir un son par semaine et c’était comme une introduction en douceur de notre son, parce que la production et l’écriture, ce sont deux choses différentes, donc on voulait s’assurer de ne pas faire un truc, puis un autre sans rapport, et ainsi de suite… C’était comme un roulement pour que les gens s’habituent progressivement au son et le digérer. « Small Talk », on a fait la promotion sur la radio d’OVO Sound, c’est ça ?

On était vraiment enthousiaste. C’est peut-être même mon morceau préféré sur l’album. Il est plein de nuances, il me fait penser à nous. C’est l’un des sons que je peux écouter en m’oubliant et en profitant vraiment.

Mouloud : Parce que c’est comme ça qu’on parle aux filles.

MJ : Oui, et puis j’aime l’idée du titre « Small Talk », parce qu’on peut parler de la pluie et du beau temps mais au fond, tu insinues qu’il faut qu’on parle… pour ci, ça et ça. Donc c’est pas réellement une petite discussion, c’est plutôt gros même, mais on le joue de façon nuancée et amusante, pour se sentir à l’aise d’avoir cette grande discussion.

Mouloud : Vous allez faire un clip pour ce son ?

MJ : J’aimerais bien. Ouais, ce serait pas mal. On y va maintenant ?

Mouloud : Allez !

MJ : On conduit trois Corvette rouges… Ouais, faut qu’on y réfléchisse, mais j’aimerais tourner autant de clips que possible.

Mouloud : Vous devriez le faire à Paris, « Small Talk ».

MJ : Ce serait génial.

[…]

Mouloud : Je vous ai connu quand on vous appelait les « Good People », et j’ai entendu ce morceau dont je vous ai parlé tout à l’heure, il s’appelle « Patience ».

Et pour moi « Patience » est un mot à l’image de votre carrière parce que vous êtes passés par plusieurs étapes mais vous avez toujours travaillé dur pour réinventer votre son à chaque fois. Vous pouvez m’expliquer comment ça a commencé ?

MJ : Avec « Patience », quand on travaillait sur les projets de Good People, on était vraiment à la recherche de notre son et de ce qu’on voulait faire de notre musique, en particulier avec la mixtape qui ne comptait que huit morceaux. On voulait faire quelque chose de concis, avec un clin d’oeil à toutes nos influences musicales. Avec « Patience », on a commencé au piano, et comme tous les autres morceaux, ça a commencé dans notre dortoir où on prenait n’importe quel instrument et commençait à jouer pour créer un truc. Je pense qu’on a pas mal été inspiré par la basse britannique pour ce son. Et on voulait le mixer avec et son élégance. J’aime beaucoup/Je kiffe grave.

Ouais, on a commencé avec l’idée de jouer au piano, c’était assez concret dans notre tête, au cas où on arriverait à tourner un clip un jour. On pense toujours aux images quand on fait de la musique. On imaginait un gars en train de jouer au piano avec que le beat commence. C’est pour ça qu’au début de « Patience » on entend le piano qui ne joue pas en suivant un métronome ou autre, c’est plutôt une sorte d’impro suivie du beat qui vient s’ajouter à un moment précis et qui donne cette sensation.

Mouloud : Et c’est vrai que vous vous êtes rencontrés à sa soirée d’anniversaire ?

MJ : Oui.

Mouloud : Et t’étais mineur ?

MJ : Oui.

Mouloud : T’es un bad boy !

MJ : Bad boy… On s’est rencontré au Beaconsfield, à Toronto. Il fêtait ses 21 ans, et je venais d’avoir 18 ans.

En fait, il est venu avec son cousin, et c’était l’une de ses premières soirées à Toronto, il venait d’arriver à l’université, et j’y étais moi aussi. C’était sa première année, et moi, c’était ma dernière donc quelques amis m’ont organisé une surprise pour mon anniversaire… Je ne savais même pas qui allait venir/se pointer, et lui… C’était un invité surprise.

Mouloud : Et c’est comme ça que vous avez décidé de devenir meilleurs amis ?

Ouais, on s’est rencontré ce soir-là et c’était une très bonne soirée. On a fait que déconner et s’amuser, mais on a vraiment créé un lien. On a parlé de musique et de ce qu’on aimait, mais c’est seulement quelques mois plus tard qu’on s’est croisé dans la rue. Et c’est à ce moment-là qu’on a reparlé de l’anniversaire et de notre envie de faire de la musique ensemble. Ensuite, on s’est donné rendez-vous le lendemain vu que j’avais un cours près de son dortoir. Je lui ai dit que je passerais le voir après mon cours. Et quand j’y suis allé le lendemain, il avait déjà préparé un morceau radio assez (généraliste), et j’étais impressionné par sa rapidité à travailler avec aussi peu d’informations. Je me suis dit qu’il fallait qu’on bosse ensemble, et c’est là que tout a commencé. C’est là que je me suis dit qu’on pouvait réellement faire un truc intéressant.

Mouloud : Et comment vous avez su que vous étiez faits pour faire de la musique ensemble ? Est-ce que vous vous l’êtes clairement dit ?

La première fois qu’on s’est retrouvé dans le dortoir, y’a vraiment eu une connexion. C’était la première fois que j’entendais la voix de Majid. Et juste sa façon d’écrire, de composer et d’enregistrer… Le résultat final était juste parfait et on se sentait super bien. On faisait du son qu’on aimait, tout en apprenant à se connaître, nous et nos goûts musicaux. C’était une évolution très saine. Mais ce qui a tout changé, c’est quand on a fait « Hold Night » et « Chill Pad Deluxe » le même jour.

C’est une chose de créer un groupe avec un gars, mais ç’en est une autre de créer un groupe avec le nom du gars. C’est devenu un nom composé de nos deux prénoms.

On était les Good People au départ, mais je pense que le moment où on a réellement pris conscience qu’on voulait faire de la musique ensemble, c’était le soir où je devais quitter le pays. Il m’a donné la mixtape gravée sur CD, c’était pas mixé ni rien, mais je voulais partir avec quelque chose à écouter dans ma voiture une fois chez moi. Et c’est quand il m’a filé ce CD que je me suis dit que je le sentais bien. Et voilà. si on doit remonter à un moment où on s’est vraiment senti confiant, je pense que c’est ce moment-la.

Mouloud : Donc tu as quitté la ville ?

MJ : Oui, j’ai quitté le pays, je suis rentré au Bahreïn.

C’est là que j’ai grandi et ma famille y vit toujours. C’était la première fois que je rentrais pour une longue période. J’étais déjà rentré mais seulement quelques semaines pour les vacances scolaires, et je vivais seul depuis mes 17 ans. Je voulais juste prendre un mois après mes études pour me détendre et chercher un boulot. Pendant ce temps-là, il a mixé les morceaux et on les a postés sur SoundCloud un mois après mon départ.

Mouloud : C’est comme ça que je vous ai connus.

MJ : Tu nous as écoutés sur SoundCloud? Oui. Il y a beaucoup de Dj ou d’artistes qui postent leur musique, c’est dingue !

Mouloud : Parlez-moi des gens qui ont découvert votre musique à Toronto.

MJ : En gros, ça atterrit entre les mains de « 40 » par un de ses amis proches. Il a écouté les morceaux et il les a beaucoup aimés donc il m’a contacté par e-mail. J’en ai pas tout de suite parlé à Jordan parce que, d’abord, je savais pas qui était « 40 » dans l’industrie musicale en tant que producteur, mais il est très professionnel, et puis, je voulais pas qu’il se fasse des films et commence à penser qu’on allait signer parce que je savais que Jordan voulait faire carrière dans la musique. Donc je ne voulais pas lui donner de faux espoirs, je le considère comme un frère… J’ai pris le temps de me renseigner sur « 40 » et ensuite j’ai compris que c’était une réelle opportunité.

Mouloud : Et c’est vrai que tu ne connaissais pas « 40 » et que du coup, ton père l’a cherché sur Google et t’a expliqué qui il est ?

MJ : Oui. En fait… « 40 » est un homme très discret, et même en nous ouvrant les portes du métier, on s’est senti accueilli dans une famille parce qu’ils se soutiennent les uns les autres et sont très proches. A cette époque, il y avait moins d’informations à son sujet en ligne, y’avait pas d’interviews ou d’apparitions TV. Je crois qu’il y avait juste une interview sur CNN. Et j’ai dit à mon père qu’un certain Noah Shebib m’avait contacté par e-mail et je suis sorti rejoindre des amis. A mon retour, il m’a dit « Je l’ai cherché sur le net, il fait ça, il a été interviewé sur CNN, c’est lui, je pense que tu devrais le rencontrer ». Donc j’étais là « Merci pour l’enquête, merci pour ton rapport ».

Mouloud : Tu serais capable d’expliquer à mon père qui est M « 40 » ?

MJ : M « 40 » ? Ok. Alors, en gros, c’est le cerveau qui se cache derrière une grosse partie du travail d’OVO. C’est l’un des partenaires de confiance de Drake, c’est le producteur exécutif de notre dernier album, « Majid Jordan », c’est un mentor pour nous, et c’est un auteur compositeur et producteur très talentueux. C’est aussi le co-fondateur d’OVO Sound avec Drake et Oliver El-Khatib.

Mouloud : Vous avez tourné le clip et fait une prestation chez Ellen.

MJ : C’était la première fois qu’on passait à la télé. On n’était encore jamais monté sur scène tous les deux, même à l’époque de « Good People ».

Mouloud : Ah ouais ?

MJ : Oui. C’est ça le plus dingue, on n’avait même jamais encore chanté (en acoustique) devant nos amis. Et là, on se retrouve devant le public d’Ellen, complètement flippé ! C’était la première fois qu’on montait sur scène ensemble.

Personne ne nous connaissait, personne n’avait entendu notre musique… On a pensé à tout ça et on s’est dit « On est chez Ellen, il faut assurer ! On y va ! On y va ! ».

Mouloud : C’était comment juste après la prestation ?

MJ : Plein d’adrénaline. Quand je suis sorti, je crois qu’il faisais 25 degrés, y’avait du soleil, mais je le sentais même pas. Je suis juste rester là à réfléchir. Je pensais être resté deux minutes, mais en fait, 20 minutes s’étaient écoulées.

Mouloud : Ton père t’a appelé avant en mode « Je viens de chercher Ellen De Generes sur Google » ?

MJ : Il m’a dit « Ouais, je connais Ellen, c’est une grande comédienne américaine, elle a son ‘talk show’ que beaucoup de gens suivent, tu vas assurer, profite bien de ta première prestation en live ! ». En fait, ma mère est accro au net, je lui dis tout le temps de décrocher… Y’a plein de trucs de dingue.

Oui, carrément. Quand t’as des proches qui tiennent à toi, tu préfères qu’ils gardent leurs distances avec le net.

[…]

Mouloud : Vous connaissez aussi le son à la française. Comment l’avez-vous découvert ? Vous pouvez nous expliquer ?

MJ : Oui ! Quand j’ai commencé la musique, j’avais 12 ans, et j’avais un enregistreur analogique à 8 pistes donc je jouais de la guitare, du piano ou autre, et j’essayais d’écrire des chansons. Ensuite, je suis passé à la musique électro quand j’ai découvert « Essential Mix » de BBC, une émission de Pete Tong programmée toutes les semaines. À cette époque Ed Banger assurait et tous ces artistes que j’écoutais pendant deux heures m’ont vraiment influencé.

Justice, DJ Mehdi…

Oui, ces gars-là ont eu une énorme influence sur ma musique. En gros, j’ai appris à faire de la musique sur ordinateur, et en écoutant leur musique, j’ai appris à utiliser tous ces logiciels et je voulais faire de la House.

[…]

Mouloud : On parlait du lien entre la musique électro, le Hip-Hop et OVO Sound, vous pouvez passer d’un beat 75 bpm à un beat électro en deux secondes. Et c’est comme ça que vous avez pensé et enregistré votre album ? En passant d’un rythme lent à accéléré ?

MJ : Oui. Même dans « There’s Something About You », les gens pensent qu’il y a un sample, mais en fait c’est juste Majid, j’ai modifié sa voix, on le fait pas mal dans notre musique. On s’est beaucoup inspiré de la musique Hip-Hop de « Chopped and Screwed » qui arrivait à faire un truc complètement différent avec l’idée de base. C’est la même musique, mais à un rythme et une époque différente. Ça donne naissance à de nouvelles émotions. Y’a pas beaucoup d’électro de « Chopped and Screwed », donc on peut prendre des idées qui appartiennent à un genre et finalement en faire autre chose. Y’a plus vraiment de genres, c’est juste de la musique.

Oui, c’est interchangeable.

Mouloud : Et votre façon d’utiliser les voix, c’est comme jouer avec…

MJ : C’est comme un instrument. Parfois j’utilise juste son souffle comme on enregistre, ou un truc du genre. On peut faire ce qu’on veut avec la voix. Y’a pas vraiment d’équation. Je ne fais pas partie des producteurs qui veulent absolument utiliser des logiciels, etc. Tu peux changer ça en instrument si tu veux.

Mouloud : Vous utilisez AutoTune et tout ça ?

MJ : Pas vraiment, ce mec enregistre toujours en moins de trois essais, donc il sait comment s’y prendre, c’est comme ça qu’on a toujours fait. Moi, je suis ouvert à tout. Ça dépend de la vibe et du son. Ça peut être n’importe quoi.

Mais ça doit jamais être… y’a des gens qui m’énervent à toujours pointer du doigt ceux qui utilisent AutoTune, si ça sonne bien contente-toi d’écouter ! On ne devrait pas s’en préoccuper.

Je suis d’accord. Young Thug a créé l’une des plus belles mélodies.

Oui, c’est un génie. Sa façon d’utiliser AutoTune, c’est la façon dont les artistes utilisent les instruments. C’est une toute nouvelle façon d’utiliser AutoTune, il faut revoir son jugement sur AutoTune. C’est vraiment un génie.

Ce n’est pas seulement un embellissement de la voix, c’est vraiment un instrument. Comme un vocodeur.

Mouloud : Et en temps que geeks de la musique, vous connaissez quoi de la musique française ?

MJ : Je connaissais Mr Oizo, Ed Banger… On connaît Daft Punk, bien sûr. Ils ont été une grande source d’inspiration aussi. Je pense que la musique française se fait connaître en partie grâce à la House qu’ils produisent. J’aime beaucoup parce que y’a pas mal de samples et y’a une forte énergie. C’est intense.

Oui, c’est intense, y’a beaucoup d’énergie. Je me souviens quand j’écoutais Ed Banger, je le cite pas mal mais j’aime beaucoup… quand j’écoutais son travail, je me disais « Comment ils ont fait pour faire un son aussi puissant ? ». La musique est hyper forte, vous êtes dingues ! Et à chaque nouvelle phase, c’est de plus en plus fort ! Je crois que c’est ce qui m’a marqué dans la musique française.

Mais on aime beaucoup la mélodie française aussi, comme Sébastien Tellier, « La Ritournelle »…

Le rap français est mortel aussi !

Même les mélodies anciennes (Phoenix Songs), sa façon de chanter une mélodie qui n’existait pas vraiment auparavant, et sa voix par dessus les instruments, c’est pas mal aussi.

Mouloud : Et vous connaissez le rap français ?

MJ : MC Solaar.

À Montréal, y’avait un endroit, j’ai oublié le nom, où ils diffusaient du rap français. Le flow est vachement romantique, c’est hyper fluide et différent. Je pense que les nouvelles générations découvrent des genres qu’elles pensent nouveaux, comme le grime ou le rap français, mais en fait, c’est là depuis longtemps. Écouter quelqu’un reprendre une mélodie qu’on connaît et en faire quelque chose de nouveau, c’est intéressant.

Y’a un morceau de MC Solaar qui parle d’un jeu de cartes, je crois.

Il parle de pique ou de carreau, je ne sais pas exactement, mais j’ai un ami qui me l’a traduit parce que j’y jouais beaucoup… Vous voyez ce que c’est ?

Mouloud : « L’as de trèfle qui pique ton coeur » ?

MJ : Oui, je crois que c’est ça. Il fait une métaphore avec les cartes, et il parle d’une femme…

Mouloud : Caroline.

MJ : Caroline ! Oui, c’est ça ! C’est l’un des premiers rap français que j’ai entendu, et même sans comprendre les paroles, j’étais impressionné.

Mouloud : Et tout à l’heure vous me parliez de PNL ?

MJ : Oui, un ami de Montréal m’a montré un de leurs clips qu’ils ont tourné en Islande ou au Groenland. Et juste l’idée de genre de musique avec une telle qualité de production, je trouve ça vraiment cool.

Mouloud : Vous n’avez pas fait beaucoup d’interviews donc je voulais vous remercier, je suis ravi de vous parler. Pourquoi avoir opté pour la discrétion et le choix ?

MJ : Si t’as envie de nous parler, on partage volontiers. C’est ça notre message. On veut collaborer avec les gens et échanger par la discussion. C’est important pour nous.

Oui, et même quand on était avec « 40 » et les autres chez OVO, personne ne s’est jamais pris au sérieux par rapport à son image, on se focalisait sur le travail et sur notre objectif commun. On ne ressentait pas le besoin de partager ça avec l’extérieur, du coup.

Oui. Surtout avec les réseaux sociaux, on peut voir ce que font les autres, et les autres veulent partager ce qu’ils font. Mais je pense qu’on fait partie de ceux qui sont juste fiers leur travail et qui en discutent avec tous ceux qui en posent la question.

Mouloud : Cette émission s’appelle « Clique », c’est quoi votre définition d’une clique ?

MJ : C’est une équipe, les gens avec qui tu traines. Je trouve que c’est un peu stigmatisé comme mot mais d’un point de vue professionnel, c’est comme un collectif.

Un groupe de personnes qui se retrouvent ensemble au même moment.

Mouloud : Dernière question. On est à Toronto… M. Trudeau veut faire légaliser l’herbe…

MJ : J’ai pas le droit de vote ici. C’est un jeune, M. Trudeau. Il se débrouille bien. Il suit l’opinion publique, je pense.

En fait, le pays est jeune lui-même, donc je pense que les jeunes accomplissent pas mal de choses pour leur âge, dans plusieurs domaines, pas seulement en politique ou en affaires. J’ai quelques amis qui se sont vraiment bougés, qui ont monté leur boîte ou qui ont travaillé avec d’autres personnes. Comme Jamie, par exemple. Rien que ce qu’il a fait avec Drake, pour leur âge, ce qu’ils ont fait… c’est incroyable. Et c’est l’un des pays où c’est vraiment possible.

Je pense que le Canada est un pays qui donne vraiment sa chance aux jeunes.

 

Précédent

Lacrim : "Je ne suis pas en cavale"

Interview du rappeur en cavale Lacrim

Clique x Benoît Poelvoorde

Suivant