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Photo du groupe One Direction par John WrightMusique
Par Laura Aronica

CLIQUE TALK : Les fans des One Direction sont les vrais patrons d’Internet

28 octobre 2014. Cinq ans et 13 millions d’albums écoulés depuis leurs débuts hasardeux dans le télécrochet britannique « X Factor », Liam, Harry, Zayn, Niall et Louis, tous entre 20 et 23 ans, s’apprêtent à sortir sur YouTube le clip de leur nouvelle chanson « Steal My Girl ». Depuis plusieurs jours, les fans du monde entier s’activent. Twitter fourmille de messages et de plans d’action, incompréhensibles pour les non-initiés. Leur objectif, c’est le même que d’habitude : pulvériser le record du nombre de visualisations en 24 heures. La pression est presque insoutenable, mais ils sont prêts.

J’observe l’agitation sur les réseaux sociaux, médusée. Soudain, pour moi tout s’éclaire. Le vrai danger du XXIe siècle, ce ne sont pas les Reptiliens ou les Illuminati. Il y a un lobby surpuissant et bien réel, et il nous avalera tous. C’est celui des admirateurs du boys band le plus adulé au monde, les One Direction. Je décide de mener l’enquête, bien résolue à comprendre. Les “Directioners”, qui sont-ils ? Quels sont leurs réseaux ?

LES VRAIS MAÎTRES D’INTERNET

Toute cette histoire, c’est la faute d’Eli. Eli n’est pas une fille. C’est un singe, et c’est à cause de lui que j’ai plongé, d’un jour à l’autre, dans cet univers parallèle, un peu lunaire mais surtout déroutant.

A la minute où sort le clip, le succès est en marche. « Steal My Girl » ravit les fans. Il faut dire qu’il est délicieux de naïveté. Filmés dans le désert, les garçons y font les joli-coeurs – sourires à tout va, danseuses et ballons, le tout dans une ambiance stylée (40 degrés à l’ombre, mais surtout gardons nos vestes). Dans une vidéo de ce type, l’apparition d’une entité mignonne et de très petite taille est attendue, quasi-rituelle. Ç’aurait pu être un bébé, ils ont choisi un singe. C’est Eli. Le museau chaussé de Ray-Ban rouges flashy, l’animal s’éprend de Louis, lui donne la main. Un peu plus tard, il esquisse un bisou.

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Mais la PETA veille. En prévisualisant le clip quelques jours plus tôt, l’association américaine de défense des animaux a cru déceler là de la maltraitance. Alors lorsque – drame – la vidéo bloque, soudain illisible, le coupable est tout trouvé. En quelques minutes, la résistance s’organise. Mobilisation, générale et principalement adolescente, autour d’un mot-dièse à rallonge : #DontDeleteStealmyGirl. “N’effacez pas Steal My Girl », en Français. Un flot d’indignation en 140 caractères fait vrombir Twitter. Les fans exigent le retour de la vidéo. Beaucoup sont sardoniques, comme @alexia4568, qui demande à « être maltraitée comme le singe ». Assez vite, la vidéo est de retour. Soulagement général, même si finalement, le record n’est pas battu.

Ont-ils fait plier YouTube ? Pas sûr. Derrière cette histoire, il y a évidemment des intérêts économiques qui dépassent les fans. Tout de même, leur capacité à se mobiliser aussi vite me frappe. Difficile d’estimer le nombre de Directioners, mais ils se comptent par centaines de milliers. Un autre épisode vient confirmer mes hypothèses. Le même jour, ils font planter Google, à l’occasion d’un « Hangout », un « tchat » avec les membres du groupe. Trop de connexions. On m’apprend aussi que quelques mois plus tôt, c’est Twitter qui vacillait. En cause : l’hyperactivité des fans – trop d’enthousiasme pour un seul réseau social. Les communautés de fans peuplent Internet. Les plus connues sont sans doutes celles des Beliebers, les fans de Justin Bieber, des Swifties de Taylor Swift ou des « Monsters » de Lady Gaga (sans oublier les Selenators, les KatyCats, et bien d’autres noms encore). Elles sont protéiformes, plus ou moins puissantes. Mais là, pas de doute. Dans le monde des fanbases, ce sont les Directioners qui mènent la danse.

UN PEU TROP NORMALES

«En tant que fans, on est les premiers à faire du market’» Vlam. En inteviewant deux Directioneuses, je m’attendais à presque tout. Mais pas à ça. C’est donc ça, une fan, de nos jours ? Un concentré de lucidité ? Les deux filles avec qui je m’attable, ce 11 novembre à Paris, je les ai trouvées un peu par hasard, au détour d’une page Internet. Elles y racontaient leur rencontre avec leurs idoles, après une fastidieuse journée de chasse dans le Tout-Londres.

Dans ma tête, une image. Celle, de l’adolescente amoureuse, chez qui le poster au mur et la candeur ne sont pas en option (poke, Eminem, je t’aime toujours). Je les voyais la quinzaine, prêtes à bondir à chaque nouvelle photo postée sur Instagram, priant pour qu’un beau jour, l’un des 5 membres du groupe les suive sur Twitter (selon Lisa, 15 ans, une autre Directioneuse jointe par mail, c’est le Graal : « on peut leur envoyer des messages privés »). Ou encore avec des chorégraphies et un air béat d’amour, comme sur cette vidéo.


One Direction : Qui sont les Directioners par nonstoppeople-officiel

Raté – et c’est bien fait pour moi. Pauline et Marie ont respectivement 19 et 23 ans. Un peu de maquillage, un jean et une blouse. Cheveux châtains, yeux bleux turquoise et répartie en diable pour la plus âgée. Elle est à peine rentrée de Londres, où elle a étudié un an. La seconde a des airs un peu plus enfantins. Elle est aussi plus calme. En tiraillant ses longs cheveux bruns, elle me raconte qu’elle est à la fac, dans la banlieue de Paris, et bosse en même temps dans une salle de concert. En un mot, ces deux filles sont n-o-r-m-a-l-e-s, même extrêmement sympathiques. Rien à voir avec ce documentaire anxiogène, diffusé sur Channel 4 fin 2013, qui a visiblement sélectionné les plus folles de toutes (et provoqué l’ire simultanée des Directioners et de leurs idoles).

Elles égrènent le nombre de concerts où elles se sont rendues. 9 pour Pauline. 5 pour Marie. En deux ans environ. Même ça, cela semble normal, dans leur bouche. L’air songeur, Pauline explique : « Je vois plutôt ça comme des voyages ».

THEORIE DU COMPLOT

Je suis tombée sur des vétérans. Selon elle, la moyenne d’âge des Directioners se situe entre 12 et 18 ans (elles précisent qu’ils s’agit en grande majorité de filles). L’avantage : fans depuis le début, elles ont plus de recul que les autres. Alors oui, disent-elles, elles aiment “les chansons d’amour”. Mais l’un n’empêche pas l’autre, mes deux Directioneuses sont aussi des championnes de l’autodérision. Elles vouent un culte plutôt franc aux cinq membres du groupe, et ça les fait bien rire. A Zayn, « celui qui ressemble à Aladdin », à Louis et ses traits fins, à Liam et à Niall – et à Harry, le leader. « Trop chou ».

Elles ne le clament pas pour autant, conscientes qu’autour de la vingtaine, s’affirmer fan d’un boys band peut « paraître étrange ». Elles m’ont d’ailleurs demandé de changer leurs prénoms. L’une a créé une « fanfic » – une fiction inspirée de la vie réelle des garçons, mais elles tiennent à se distinguer du « 75% de fans plus jeunes » et « un peu hystériques parfois ». Elles n’iraient jamais, comme certaines, débattre des heures de la théorie Larry. Ou Narry. Ou Zarry, ou encore Ziam. A vos souhaits ?

« Larry c’est une grosse conspiration depuis le début d’X-Factor » m’explique Marie, qui me sent perdue. De nombreuses fans ont décrété que Louis et Harry vivent une histoire d’amour, passionnelle mais malheureuse. Selon elles, ils se cachent. Voulant les aider à assumer leur choix, elles les encouragent avec force dessins et vidéos, censées les aider à assumer leur relation. Depuis, les pauvres ne s’affichent plus l’un à côté de l’autre. (Quand on vous dit que la vraie théorie du complot n’est sûrement pas celle que vous croyez).

ESPIONNAGE ET LANGAGE SECRET

Pauline et Marie sont des snipers. Elles savent tout, instantanément. Bac +13 au moins en espionnage Internet, option réseaux géolocalisation, elles préfèrent Twitter et Instagram à Facebook, car les premiers sont alimentés directement par les garçons. L’une d’elles me raconte comment, en l’espace de quelques heures, elles ont réussi à tracer le studio des garçons situé près d’une autoroute, au beau milieu de la campagne anglaise. Pressé de poster une photo sur Instagram, un de leur proche a oublié de désactiver la géolocalisation de la photo. Une seconde a suffi. Le temps de supprimer l’image, l’information circulait déjà parmi les fans. Elles ne sont finalement pas allées jusqu’au studio. Trop dangereux, trop loin.

Quand les Directioners veulent se faire entendre, manifester leur satisfaction ou bien protester, elles unissent leurs forces sur Internet. Pour faire passer un message, elles disposent d’une arme, redoutable : le tweet massif. Elles créent des « hashtags », que les utilisateurs de Twitter voient surgir sur le côté de leur écran, qui indique en temps réel quels sujets sont les plus à la mode. Ces mots-clés sont limpides pour elles, mais impossibles à comprendre lorsque l’on ne maîtrise pas les fondamentaux du Directioner. Exemple : l’un des derniers en date, #GetwellsoonLiam. Liam était malade, les fans ont tenu à lui souhaiter bon rétablissement. «J’ai déjà fait monter un hashtag» explique Pauline, qui regrette l’âge d’or où cela arrivait quotidiennement. «Les fans françaises étaient un peu plus mobilisées. On se disait : aujourd’hui, à telle heure, on tweete toutes pareil. Et ça marchait». Je me garde bien de lui dire que sur moi, ça fait toujours son petit effet.

RELATIONS AVEC L’INDUSTRIE DU DISQUE

Les filles ont anticipé la question suivante. « Ils ont rien à faire, on fait le taf à leur place ». Ils, ce sont les communicants. Marie a un compte source, l’un de ces comptes Twitter extrêmement suivis par les fans, qui compilent toutes les informations disponibles sur les One Direction. Le sien est l’un des plus anciens du réseau. Elle m’explique. « Beaucoup de comptes source sont en relation avec Sony, enfin plutôt avec Rise Up, l’agence web qui s’occupe des One Direction ». L’agence contacte les comptes sources et leur propose courtoisement de s’occuper d’une partie de la promo. En échange, les fans reçoivent de modestes gratifications. Des bracelets coupe-file aux concerts, un album… « Ce sont pour la plupart des jeunes filles qui se relaient toute la journée entre les cours pour trouver des infos et les tweeter à leurs followers », explique Emilie de l’agence Rise Up, contactée par mail. « C’est notre manière de valoriser ce travail et de les remercier pour le relai continu et l’exposition qu’elles offrent aux artistes. »

Jamais de rencontre à la clé, en revanche, ni de place gratuites. Dommage : «Sur la dernière tournée ils se sont un peu lâchés », raconte Marie. « Les places VIP se négociaient autour de 190 euros ». Ces petits cadeaux leur conviennent, disent-elles. « C’est une relation gagnant-gagnant ». Pour les deux fans, hors de question de critiquer les équipes web-marketing. Récemment, les Directioners ont été nommés aux Americans Music Awards, dans la catégorie « biggest fans », les « plus grands fans ». Pour gagner, il fallait tweeter avec un hashtag particulier, pour qu’ils puissent être décomptés. Les Directioners ont remporté le prix. «Je m’en fous», lâche Pauline. «Mais bon, c’est des choses qu’on DOIT faire ». Elle ajoute, placide : « Ils te font bien comprendre que plus t’en fais, plus t’as de chances de les voir ». « Si l’album Four se vend bien, on pourra avoir une venue des garçons », dit Marie.  « Quand ils ont besoin de nous, ils nous envoient un mail ». Pauline acquiesce. « C’est un peu triste hein… ».

ELLES SONT PARTOUT

« Tout le monde se connaît ». Marie explique qu’entre comptes source, les Directioners les plus assidus s’organisent et expliquent quoi faire à la masse. Un compte Twitter de ce type est rarement géré par une seule personne. Elles sont souvent 3 ou 4 à se partager les tâches. L’une poste les photos, l’autre déniche les infos… « Je connais plus de gens sur Twitter que dans la vraie vie » dit Marie. La communauté est soudée, et internationale. « Tout le monde parle anglais » dit Pauline. Nilesh Kumar, qui gère une page fan Facebook – 16 000 fans à son actif – me précise, en anglais : « Dès que l’on voit quelque chose d’injuste à propos des One Direction sur Internet, nous savons que nous sommes des millions à s’y opposer. Les Directioners sont une grande famille mondiale ».

Ces amitiés virtuelles, les filles ne comptent pas particulièrement les transposer à la vie réelle. A part occasionnellement. Pour la sortie de « More than this », des Directioneuses se sont retrouvées à Paris. Elles ont créé plusieurs groupes, disséminés dans la capitale et ont tourné un clip, envoyé au « management » des garçons. Pour faire plaisir aux One Direction, mais aussi dans l’espoir qu’ils viennent plus vite en concert. Les Directioners ont aussi généralisé le concept de « projets », emprunté aux fans de Justin Bieber. Avant des concerts, les fans s’organisent pour créer un mouvement de foule, une surprise destinée au groupe. Marie et Pauline me racontent comment, en avril 2013 à Bercy, elles ont fomenté le « Kiss You Project ». Sur Twitter d’abord, puis quatre heures avant le concert, devant la salle, elles mobilisent les fans, leur donnant des instructions bien particulières. Pendant le concert, bingo. A leur signal, quand la chanson « Kiss You » retentit, des milliers de personnes lèvent à l’unisson une pancarte-bisou. « On est dans le DVD, dans le Yearbook » précisent-elles. « lls ont même tweeté dessus »

Fin de l’entretien, tout ça me laisse songeuse. Aller à la rencontre de ces fangirls, vouloir y voir autre chose que d’énièmes groupies, et trouver un prétexte pour me moquer un peu des couvertures du Point s’est révélé instructif. Mais quelque chose me perturbe. Pour l’instant, les fans de One Diretion ont 15 ans en moyenne – et toute cette histoire de lobby n’est pas sérieuse, il ne s’agit que de musique. Oui, mais… Que se passera-t-il, le jour où elles se prendront de passion pour un autre sujet ? Essayez d’imaginer leur énergie, cette capacité d’organisation, ce pouvoir de mobilisation au service d’une cause politique, sociale ?  Pauline a du mal. « Si on tweetait sur autre chose, je pense pas que ça marcherait. Si c’est de la musique, oui pourquoi pas. Mais pour le reste non, ça ne les intéresse pas». Pour l’instant, non. Mais attendez de voir quand cette génération-là aura grandi.

Photo ©John Wright

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