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Clique #JusticePourAdama

Youssouf, le frère d'Adama Traoré, s'exprime pour la première fois depuis sa sortie de prison.

Il y a quelques semaines, l’auteur et scénariste Laurent Chalumeau déclarait que l’affaire Adama Traoré, si elle n’avait pas été réelle, aurait fait une série télé incroyable. En ce début d’année, rien n’est malheureusement plus vrai.

Le 19 juillet 2016, Adama Traoré est mort. Il aurait fêté ses 24 ans le soir même avec ses frères, à Beaumont-sur-Oise, où réside sa famille. Interpellé par les forces de l’ordre, le jeune homme est décédé dans la cour de la gendarmerie de Persan. Des mois plus tard, celles-ci n’ont toujours pas expliqué pourquoi elles ont ont attendu quatre longues heures avant d’alerter ses proches.

Deux autopsies d’Adama se succèdent et se contredisent. Les bafouilles du procureur en charge de l’affaire entérinent la méfiance des proches. Dans sa bouche, le « syndrome d’asphyxie » qu’évoquent les médecins légistes se transforme en « infection grave ». La famille Traoré demande la vérité.

Un clip de rap censuré, une plainte de la maire de Beaumont-sur-Oise, des conseils municipaux annulés, de violentes échauffourées entre les forces de l’ordre et les jeunes, l’incarcération de deux des frères d’Adama… Ces cinq derniers mois, pas une semaine ne s’est écoulée sans que l' »affaire Traoré » connaisse un énième rebondissement.

Pourtant, le mystère plane toujours autour de la mort d’Adama Traoré. Ni la croisade médiatique de sa soeur Assa ni les témoignages de soutien dans la rue ou sur les réseaux sociaux n’auront eu raison de l’opacité de l’affaire.

Pendant ce temps, la famille reste digne, fidèle à ses appels au calme répétés. Elle attend patiemment une réponse à son appel lancé au Président François Hollande dans le Gros Journal, début septembre. Et si elle est déterminée, elle craint de s’enliser. Bagui Traoré est en prison, jugé coupable de violences, menaces et outrages après le conseil municipal du 17 novembre dernier. Son jeune frère Youssouf, écroué pour les mêmes motifs, vient de la quitter.

« Vous allez me tuer comme mon frère » a-t-il dit, le jour de son arrestation, aux forces de l’ordre. Aujourd’hui il est libre, mais il a perdu son poste de chauffeur de bus. Il résume, simplement : « Je n’ai plus rien ».

C’est à lui, cette fois, que Clique a voulu donner la parole.

 

Mouloud Achour : Comment ça va ?
Assa Traoré : Ça va Mouloud.

La dernière fois qu’on est venu, on t’a causé des problèmes. Parce que la maire de Beaumont-sur Oise a menacé de porter plainte contre vous. Suite à cette menace, vous avez décidé de vous rendre au conseil municipal, pour faire entendre votre voix de citoyen. Que s’est-il passé ?
Suite à notre intervention dans le Gros Journal, la maire de Beaumont-sur-Oise a décidé de porter plainte contre moi pour diffamation. A ce conseil municipal, elle a tenté de faire voter des dizaines de milliers d’euros pour m’attaquer en justice. Donc nous avons décidé de venir à ce conseil municipal. Arrivés à ce conseil municipal, nous sommes accueillis comme des personnes issues du grand banditisme par une cinquantaine de gendarmes armés, de policiers municipaux, de gendarmes avec des Flash-Ball donc on n’a pas compris. Après, il ne faut pas oublier que c’est nous qui avons perdu notre frère le 19 juillet, dans les locaux de la gendarmerie, tués par les gendarmes. Aujourd’hui, c’est nous qui sommes les bandits, c’est nous qui sommes accueillis par les forces de l’ordre, plus que chargés, donc on ne comprend pas. Dès notre arrivée à ce conseil municipal, l’entrée est filtrée. On nous a tout de suite dit qu’il n’y avait pas de place et que les habitants ne pouvaient pas rentrer. Je suis donc rentrée pour voir si il y a de la place, et l’opposition s’est levé en se disant : « Si une partie de la famille Traoré et les habitants de Beaumont ne peuvent pas participer à ce conseil municipal, on lève le conseil municipal ». Et à l’extérieur, une conseillère municipale s’est mise à gazer la foule. Les gendarmes ont commencé à gazer tout le monde. Des enfants et des personnes âgées ont été gazés. A ce moment-là, ils étaient plus de 50 en face de nous, armés. Face à de simples habitants n’ayant aucune arme. Si on est là aujourd’hui, c’est parce que nous sommes les frères et sœurs d’Adama Traoré. Je pense qu’ils veulent détruire cette cellule familiale, cette famille Traoré et détruire tous ces soutiens.

Ce qu’il se passe après, c’est que vos deux frères Youssouf et Bagui vont en prison. A l’heure où on parle, Bagui est toujours en prison. Youssouf est sorti. Il nous a accordé un soutien, juste à côté, devant le conseil municipal.

On est devant la mairie de Beaumont, là il y a écrit « Liberté, égalité, fraternité ». On va parler de ces trois mots. Peux-tu parler de ce qui s’est passé ?
On n’a pas pu rentrer. Dès qu’on est arrivés sur les lieux, on nous a dit que ce n’était pas possible, que c’était complet. Qu’ils ne feraient rentrer qu’Assa et ma mère. Ma sœur est rentrée et elle a vu qu’il y avait de la place. Nous sommes donc restés devant la porte du conseil municipal. Les citoyens de Beaumont n’étaient pas contents. Ils voulaient aussi se faire entendre. C’est à partir de là que ça a commencé à dégénérer. Les policiers et les gendarmes ont commencé à gazer, je ne sais pas pourquoi. On n’a pas compris. Il y avait des enfants, il y avait des mères de famille, il y avait ma mère. Ma mère s’est ramassée de la gazeuse. Certains disent que tout est parti des frères Traoré alors qu’on était là pour faire un appel au calme.

L’appel au calme, c’est le discours de la famille Traoré depuis le début. Votre mère a posté un message sur les réseaux sociaux (Nous la famille Traoré, on n’est pas pour la violence. Nous on veut seulement la vérité). Comment est-ce que tu interprètes le fait que ce soit tout de suite parti en échauffourée ?
On est venu dans le calme et on n’a pas compris pourquoi ils nous ont gazés.

Que s’est-il passé après ce conseil municipal ? Après que les policiers arrivent et sortent les gazeuses ?
En rentrant chez nous, une cinquantaine de gendarmes sont arrivés casqués et armés avec des Flash-Ball. Ils nous ont chargé. Ils ont aussi chargé les mecs du quartier. Ils n’ont rien compris, ils étaient juste posés. On avait tous les mains levées. Ils sont venus nous attraper en disant que tout s’est mal passé à cause des frères Traoré, alors que non. Nous on est là pour faire un appel au calme.

Et qu’est-ce qui t’est arrivé, toi personnellement ?
Moi j’ai perdu mon travail, j’étais chauffeur de bus. Je devais signer mon contrat. Mon patron a été au courant, il n’a pas pu me reprendre. Lui-même il ne comprenait pas, parce qu’il sait que je suis un mec bien. Tous mes projets sont partis en l’air. Aujourd’hui, je me retrouve sans travail, sans rien. J’ai fait de la prison, pour rien.

Qu’est-ce qu’on t’a reproché ?
Ils nous ont accusé, mon frère Bangui et moi, d’outrage, de rébellion, de menaces de mort.  

Vous avez donc été été incarcérés tous les deux.
On a été incarcéré tous les deux. On nous a interpellés à 7h du matin. Ils sont venus chez nous et nous ont directement mis en détention. C’était une première pour moi. Franchement, je n’étais pas bien. Je n’avais jamais eu affaire à la justice avant. Je suis quelqu’un de bien. Je combats pour mon frère, Adama Traoré. Mais eux, ils ne veulent pas qu’on combatte.

Quand on a un frère qui décède dans un commissariat et qu’on se retrouve à son tour en garde à vue et qu’on va en prison alors qu’on n’a jamais connu ça, à quoi on pense ?
Quand ils m’ont arrêté, j’ai eu très peur, parce que ce sont ces gendarmes qui ont tué mon frère. Je leur ai dit : « Je n’ai pas envie d’aller en garde-à-vue, vous allez me tuer comme mon frère ». Ils m’ont : « C’est la procédure, on vous ramène ». A plusieurs reprises, je leur demandais quand est-ce que j’allais sortir en leur disant : «  J’ai un travail qui m’attend. J’ai une famille, j’ai ma mère, j’ai mes sœurs, j’ai mes frères. Vous me mettez en garde-à-vue alors que le combat est difficile. On n’arrive toujours pas à faire le deuil ». Ce que je leur reproche, c’est cet acharnement sur nous.

Quel est le quotidien en prison quand on ne sait même pas pourquoi on y est ?
On devient un peu fou, on ne sait pas pourquoi on est là. On tourne on rond, on ne fait que cogiter. C’est très très dur. Heureusement, j’ai reçu pas mal de soutien au sein de la prison. Pas mal de détenus sont venus me voir. Même eux ne comprenaient pas pourquoi j’étais là. Mentalement, c’était très difficile.

A l’heure actuelle, ton frère Bagui y est encore. Il a été inculpé pour les mêmes motifs que toi ?
Les mêmes. Pourquoi me relâche-t-on et ne relâche-t-on pas mon frère ? C’est de l’acharnement, de l’acharnement sur mon frère Bagui. Il était là le jour du décès d’Adama. Ils veulent le laisser en prison jusqu’à ce qu’il y ait son procès. On ne sait même pas encore quand est-ce qu’il aura lieu. Parce que chaque jour ils rajoutent un truc. Bagui avait un boulot. Le jour où ils l’ont attrapé, il allait au travail. Tous ses projets sont partis en fumée.

L’arrestation de ton frère s’est passée ici ?
Oui. Celle de Bagui et d’Adama. Tout a commencé ici. Bagui était ici avec mon frère Adama. Les gendarmes ont contrôlé Bagui. Adama les a vu au loin et il est parti parce qu’il n’avait pas ses papiers. C’était le jour de son anniversaire. Il s’est dit : « C’est mon anniversaire, je n’ai pas mes papiers, si ils m’arrêtent, ils vont vouloir me mettre en garde-à-vue. J’ai des projets avec mes frères donc je préfère partir ».  Ils n’avaient rien contre lui mais ils l’ont poursuivi. Dès qu’ils l’ont attrapé, ils l’ont tué. Ils l’ont tué parce qu’ils savaient très bien que c’était le frère de Bagui. Ils se sont dit : « On va l’attraper lui aussi parce qu’ils sont des frères ».

As-tu des nouvelles de Bagui, toujours en prison à l’heure actuelle ? Est-ce que vous communiquez ?
J’ai des nouvelles de Bagui. Ça va, il tient un peu le coup. C’est difficile pour lui parce qu’il était très proche d’Adama. Ils n’ont qu’un an d’écart. Ils étaient souvent ensemble. Il m’a dit qu’il était en prison pour la cause d’Adama et qu’il ne va rien lâcher, quoi qu’il arrive.

La dernière fois, ta sœur avait lancé un message à François Hollande. Il n’a toujours pas répondu. As-tu quelque chose à dire à François Hollande à ton tour ?
Monsieur le Président, Monsieur François Hollande, ma sœur vous a fait passer un message la dernière fois. Nous n’avons toujours pas de réponse, ça fait quelques mois déjà. Vous êtes le président de la France. Donc des Français. Nous attendons toujours une réponse de votre part. Parce que nous n’avons reçu aucun soutien de votre part depuis le décès de mon frère.

On est en 2017, il n’est pas trop tard pour François Hollande, de prendre des résolutions.

 

On vient de regarder l’entretien avec Youssouf Traoré. Assa, moi j’ai une arme à te confier. C’est cette caméra. Je te propose de devenir officiellement reporter au Gros Journal.
Assa Traoré : Oh la la, c’est une sacré responsabilité. Mais on va m’enfermer en prison !

Ah non non.
Ah mais oui !

On vous a déjà causé assez de problèmes comme ça, au conseil municipal. Ça suffit. Pour moi, personne d’autre que toi ne peut mieux raconter la vérité. Tu as donc cette caméra. Tu en fais ce que tu veux. Le Gros Journal, c’est évidemment chez toi. Tes reportages passeront.
Je te remercie Mouloud.

J’espère que ça te servira de totem d’immunité face aux pressions policières, comme on dit dans Koh Lanta.
Merci d’être là encore aujourd’hui pour ce début 2017. Et de me confier ça. On essaiera en tout cas de se défendre au mieux avec ça. Et faire ressortir justice et vérité, à travers le Gros Journal.

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