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Société
Par Justine Paolini

Aimons-nous les uns les autres (mais pas sur Tinder) par Justine Paolini

Au départ, on m’avait demandé d’écrire un article sur la corrélation entre réactions aux attentats et Tinder, investigation et témoignages à l’appui. C’est n’importe quoi, voilà que je dois faire du journalisme maintenant. J’ai quand même fait ma petite enquête, et en effet ce soir-là, pas mal de monde ne s’est pas réfugié que sous les tables de bistro mais aussi sur Tinder. Personnellement, je ne m’y serais pas risquée, j’aurais eu trop peur de matcher avec des morts.

Mais visiblement, autour de moi, personne n’a pensé à ça et beaucoup s’y sont connecté, surtout pour passer le temps pendant ces heures d’attentes, ou pour prendre des nouvelles de leurs différents contacts. Mais personne qui aurait conclu ce soir-là, c’était prévisible. Oui, c’est pas le top pour la libido primaire ce genre de situation.

J’étais devant La Belle équipe, rue de Charonne, mardi après-midi. Il y avait beaucoup de monde qui était venu se recueillir. Je suis restée quelques minutes, et je regardais ces gens se parler alors qu’ils ne se connaissaient pas. Une dame à côté de moi m’a regardée avec bienveillance alors je lui ai souri. Elle m’a attrapée le bras et m’a murmuré : « C’est horrible cette histoire. » Juste le contact de sa main sur mon manteau m’a envahi de gratitude. Je lui ai répondu un petit « oui » et j’ai attrapé sa main pour la serrer.

Dans la rue, les parents tenaient leurs enfants fort contre eux, les amoureux s’enlaçaient avec tendresse, les amis se prenaient par la main. Ca m’a émue, très fort. Je regardais tous ces visages et je ne pouvais pas m’empêcher de me demander combien d’entre eux avaient perdu un proche. Mais malgré tout, je ne pouvais pas descotcher du fait que les gens avaient besoin de s’agripper, de se toucher au sens physique. Comme pour se rappeler qu’on était bien là, que nous existions en vrai, dans nos chairs. Bizarrement, alors que l’ambiance était glacée, on pouvait sentir la chaleur des personnes qui ne demandaient qu’à être prises dans les bras.

Mon téléphone a sonné, un numéro étranger s’est affiché.
– Allô ?
– Hey ! Oh my god, I’m so relieved ! How are you ??

Oh, mais je reconnais cette voix et ce putain d’accent de yankee… Andy, mon ex américain, THE ex ultime, celui après qui tout a basculé. Je vous raconterai un jour. Mais bref, c’était bien la dernière personne dont je pensais réentendre le son de la voix dans ma vie, sachant que notre séparation remonte à sept ans environ et que c’est pas le genre d’ex avec qui tu papotes pour prendre des nouvelles. Je lui ai dit que tout allait bien, on a discuté quelques minutes de tout ce bordel, il me dit qu’il va passer à Paris dans quelques mois, qu’il aimerait beaucoup prendre un café avec moi… Euh… oui… d’accord. Alors là, incroyable.

Évidemment j’ai accepté, je n’avais ni la tête ni le cœur au ressentiment. Je n’étais pas particulièrement heureuse de l’entendre ou de le voir, mais ça m’a fait du bien, paradoxalement. Sans ces évènements, on ne se serait probablement jamais parlé.

Mais c’est dans ces moments que tu réalises que, malgré la vie et le passé, il y a des liens qui unissent les gens pour toujours. C’est un bon sentiment, on devrait s’y accrocher un peu, et avoir plus de gratitude envers le fait d’avoir connu des êtres qu’on a aimé et qui nous ont aimés.

C’est beau, de se soucier encore un peu l’un de l’autre, malgré les rancoeurs et les cicatrices mal refermées. Le reste, ce n’est que de l’orgueil mal digéré.

Plus tard, j’ai rejoint une copine chez elle. Elle était en train de se préparer pour un rencard. Elle, c’est vraiment mon amie qui passe sa vie à pécho sur Tinder ou sur Happn.

– C’est qui le mec que tu vas voir ?

– Un gars que j’ai rencontré vendredi soir.

– What ? Vendredi ? Mais où, sur Tinder ? (Elle avait passé sa soirée dessus pour faire passer les longues heures d’attente)

– Non, dans le restaurant où j’étais barricadée.

– Sans déconner ?

– Oui, il était la table à côté. Quand on a appris ce qu’il se passait, le patron a fermé le rideau et on s’est tous retrouvés à attendre comme des cons pendant toute la nuit. J’ai commencé à parler avec ce mec, et je sais pas… on a tout de suite accroché. Ça m’a fait un truc. On a passé cette soirée ensemble, tu vois, c’est pas rien. Quand on est sorti, on s’est échangés les numéros et il m’a proposé un verre tout à l’heure.

J’ai trouvé cette histoire absolument géniale. Paye ta légende auprès de tes petits enfants : « Tu vois avec Mamie, on s’est rencontrés le soir des plus gros attentats de Paris, barricadés à 200 mètres du pire. » Ça a une autre gueule que « On s’est rencontré sur une appli pour téléphone ». L’amour qui triomphe de l’horreur, le romanesque du réel qui triomphe du cynisme du virtuel : je n’aurais qu’un mot, aux chiottes Tinder ! Je me suis dit que, n’empêche, il va y avoir un sacré nombre de bébés conçus ce 13 novembre vu le besoin d’amour et de chaleur qu’on a tous eu ce soir-là.

C’est comme si on avait compris l’importance du lien, du vrai lien. Celui qui existe dans l’espace et dans le temps et pas celui derrière un écran qui ne correspond à rien. On a eu besoin du réel ce soir-là, même si le réel ne nous a pas fait de cadeau.

Et mon amie, dans ce rade du fond du XIème, a fait une rencontre des plus réelles, celle qui créée un souvenir, celui d’un soutien éphémère ou d’un regard rassurant.

Du coup, je propose un truc : pendant un mois, tout le monde lâche Tinder et va dehors. Dans les bars, chez des amis, au cinéma, au concert, en soirée, au musée, n’importe, mais on se bouge hors des écrans et on se jure de draguer IRL. Pour recréer un rapport qui soit aux prises avec la vraie vie et qui construit des souvenirs.

Allez, on ferme cette appli de merde et on se fait des bisous d’amour en se caressant les cheveux tout en se prenant dans les bras, ça empêchera nos petits cœurs fragiles d’exploser. Pour moi, la période Bisounours n’est pas prête de s’arrêter, c’est clair et net. Et d’ailleurs, ça serait peut-être pas mal qu’elle ne s’arrête pour personne.

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